
Pour qui chanteront les sirènes de Théo Giacometti
Il fait froid.
Froid et noir, terriblement noir.
Les forces anciennes s’affrontent et se heurtent aux puissances invisibles. Les Dieux de
tous les mondes, anciens et nouveaux, les nébuleuses mystérieuses et les nuages de gaz
multicolores se déchaînent dans l’infini. Du chaos est né la poussière, et de la poussière
une étoile. Je te passe les détails mais, longtemps après, le fleuve a fait son chemin sur les
pentes abruptes des montagnes, brisant la glace et les neiges éternelles qui étaient
encore là, arrachant aux roches les plus coriaces des lambeaux de granit. Tout ça dans la
chair du même chaos et des mêmes étoiles.
Et le fleuve a coulé. Longtemps. Il a vécu sa vie de fleuve, son enfance montagneuse et
tourmentée, jusqu’à sa fin, lente et désordonnée, sur une terre trop plate pour lui donner
la force de creuser son lit de mort. Alors, il s’est étalé, il s’est étiré, comme un vieux lion
qui n’en finit pas de ramper. Il s’est dispersé, mouvant, par les creux et les failles, en un
immense delta, sur les bords duquel il a déposé sa précieuse cargaison de roches et de
boues.
Toujours les mêmes atomes, rappelle-toi.


Et parfois, le delta disparaissait sous la mer, ou s’étendait loin, plus loin que l’on ne
l’avait jamais vu. Puis du monde est passé par là. Beaucoup de monde. Toutes sortes
d’animaux à poils et à plumes, peut-être même quelques rampants à écailles et aux griffes
acérées. Enfin tu t’es pointé avec tes bottes trop grandes, tes jeans usés et tes mains
fatiguées. Le temps d’un feu dans une cheminée, le temps d’un orage, le temps d’un été.
Le sel s’accrochait à tes cheveux, mais tu résistais malgré tout. Malgré le vent glacial et les
moustiques féroces, tu as planté tes piquets à travers les marais saumâtres. Tu auras
quand même passé quelques beaux dimanches au soleil, non ? Souviens toi. Avec tes
gamins qui courraient dans la roselière et la caravane qui tanguait sous le poids des amis
bruyants.
On entend encore les sabots des chevaux qui tapent sur le sol trop sec. Ça gronde, ça
secoue et déjà c’est fini. Après la poussière, tu regardes la prairie qui brille de ses reflets
carmin. L’automne est là.
Et toi tu dois partir.
Avant la mer.
Ce delta, écoute, c’est l’histoire du monde.




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